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la haine
La haine.
Cette nuit, la haine m’a réveillé.
C’était comme avoir avalé un œuf dur dans toute la rotondité de sa blancheur, il étirait les parois de mon œsophage et provoquait une sensation de soif.
Nous sommes tous des perdus dans la multitude des candidats désirant fermement devenir lauréat d’un concours organisé par l’administration. Nous postulons tous à une de ces places que l’on occupe à vie comme certaines cellules de prisons sûres. La foule d’attente est longue devant la haute porte en chêne de la vaste salle close de l’oral final, comme devant la porte en aluminium anodisé des locaux exigus de l’A.N.P.E. Par six nous sommes introduits dans cette salle toujours bondée où se chevauchent sans hennir les interrogés, les en préparations et les sur le point de l’être au milieu d’une arène de spectateurs en manque de corridas. Cinq demoiselles et moi nous installons à six vétustes bureaux d’écolier fraîchement désoccupés, il est onze heures. Les interrogatoires variables risquent de nous faire passer après la pause du déjeuner. Aussi après une préparation décontractée, l’attente va en se contractant quand l’examinateur principal déclare « Une alternative s’offre à nous : la vitesse de passage reste constante et le groupe qui vient d’entrer ne passera que cet après-midi ou la faim ralentit notre horloge interne et tout s’accélère. » A l’unisson les participants optent pour la fin rapide et sans souffrance et je termine par un gros rire discriminatoire et entendu. L’examinateur et juge reprend « De toute manière le propriétaire de ce gros rire là, échouera ».
Je me sens dans la masse désigné par le doigt de la logique, mon groupe est l’ultime et je suis le seul mâle à ce rire là. La panique m’envahit soudain, que vais-je répondre pour contrebalancer cet injuste argument pourtant si lourd du côté de mon rejet définitif.
La faim ne provoque pas la fin prématurée et accélérée tant attendue mais justifie la pause normale du déjeuner, à midi sonné par l’horloge du clocher. Je me retrouve désespéré dans le hall surpeuplé croisant mes juges et jurés qui me lancent un regard d’épée de Damoclès.
La haine provoquée par le sentiment d’injustice m’écarte l’oesophage comme s’il s’agissait d’un vulgaire cloaque de gallinacé, j’ai soif, je me réveille.
Dans la nuit noire, à la lumière des lampadaires, il pleut.
1998